Une mission scientifique soutenue par ECOFAC6 entreprend des nouvelles recherches à la Lopé
L’incroyable récit d’une mission scientifique au Parc National de la Lopé, Gabon.
Pendant 12 jours et 4 nuits, une équipe de chercheurs a entrepris une nouvelle mission de terrain, dans la forêt équatoriale du Parc National de la Lopé au Gabon.
Au cours de cette mission, deux pangolins géants (Smutsia gigantea), un mâle de 35 kg et une femelle de 32 kg, ont été pistés pour être anesthésiés, échantillonnés et équipés d’émetteurs GPS et VHF.
Cette mission, soutenue financièrement par le Programme européen ECOFAC6, s’inscrit dans une initiative de recherche qui a pour ambition d’enrichir les connaissances sur cette espèce, à la fois si méconnue et si menacée.
Lorsque plusieurs individus auront été équipés d’émetteurs, il sera alors envisageable de développer un tourisme de vision de niche, valorisant ainsi le Parc National de la Lopé, qui fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2007 et son immense biodiversité.
Au cours de cette mission de terrain, l’équipe était composée de :
- Lisa-Laure Ndindiwe Malata, Eco-garde PN Lopé ANPN
- Emile Mapolo, Pisteur PN Waka ANPN
- Maurice Mayikou, Pisteur PN Waka ANPN
- Marcel Bemba, Pisteur PN Waka ANPN
- Wesley Bombenda Mouele, Assistant de Recherche ANPN
- Dr. Michel Halbwax, Vétérinaire de la Faune Sauvage, consultant ECOFAC 6 - ANPN
- Dr. David Lehmann, Directeur de Recherche, ANPN
Les pangolins sont des animaux extrêmement cryptiques, solitaires, ayant une activité nocturne durant laquelle ils se nourrissent de termites et de fourmis. Ils passent les périodes diurnes à dormir dans un terrier, souvent différent d’un jour à l’autre. Un terrier peut être aussi bien une simple cavité entre deux rochers qu’un système complexe de galeries souterraines, précise Dr. Michel Halbwax, vétérinaire, expert de la Faune Sauvage.
Sur les traces du pangolin. Littéralement...
L’équipe n’est pas à sa première mission de ce type et son expérience a pleinement joué dans le succès de l’activité. Une telle opération implique avant tout une excellente connaissance du terrain et une étroite coordination entre les membres. En pratique, immobiliser un pangolin géant nécessite préalablement de trouver le terrier qu’il occupe. Ceci peut demander plusieurs jours de pistage au cours desquels l’équipe cherche des traces de leur passage en forêt. Il peut s’agir d’empreintes de pieds laissées au sol, de traces de frottement de queue sur l’écorce des arbres et arbustes, de traces de boue sur des feuilles ou des racines. Les pisteurs, fins connaisseurs des lieux, ont un rôle essentiel dans cette phase. Il faut des heures et des heures de pistage, parfois avec des nuits passées en forêt.
Lors du pistage du pangolin, les rencontres inattendues ne manquent pas et rappellent avec force l’importance de la préservation de la biodiversité et de l’environnement. L’équipe croisa ainsi des familles d’éléphants et des buffles de forêt, des potamochères, des crocodiles nains, des céphalophes à dos jaune, des espèces de singes et de grands singes.
Ces missions sont également des moments propices au partage des connaissances et des cultures respectives et apportent un extraordinaire enrichissement humain entre les membres de l’équipe.
Quand la forêt se transforme en salle d’intervention….
Une fois le terrier trouvé, l’équipe patiente jusqu’au soir jusqu’à ce que le pangolin sorte pour l’immobiliser et l’anesthésier. Commence alors une longue période de travail sur l’animal au cours de laquelle les émetteurs VHF et GPS sont consciencieusement vissés sur les écailles à la base de la queue. Un échantillonnage complet est réalisé. Celui-ci comprend des fragments d’écailles et de griffes, des biopsies de peau et de muscle, du sang, des écouvillons buccaux, pharyngés, nasaux, rectaux, urétraux.
Le vétérinaire de la faune sauvage s’assure durant toute la période de l’anesthésie que l’animal va bien en monitorant plusieurs paramètres vitaux à intervalle de temps régulier. Une anesthésie générale est un acte délicat où l’animal est plongé dans un sommeil profond qui nécessite une expertise et des connaissances pointues. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’anesthésie est pratiquée de nuit, dans des forêts densément peuplées d’éléphants de forêt et sur une espèce qui n’a jamais été anesthésiée auparavant et dont les constantes physiologiques ne sont pas connues.
Dr Michel Halbwax, reconnaît que « c’est très exaltant d’explorer de nouveaux domaines de la médecine vétérinaire en faune sauvage et d’établir des protocoles anesthésiques pour cette espèce mystérieuse et fascinante ».
La sécurité des pangolins géants anesthésiés et celle de l’équipe est une priorité absolue. Le Dr Michel Halbwax affirme que « notre niveau d’exigence est très élevé et que les mêmes équipements présents en clinique vétérinaire sont utilisés en forêt » et il ajoute que « c’est très important de maintenir des standards de travail élevés et ce même dans des conditions de terrain difficiles ».
Toute l’opération se déroule dans une parfaite sécurité pour l’animal, même si cela exige de porter avec soi du matériel lourd, parfois sur des longues distances. La station d’anesthésie est fragile et doit être fixée et protégée dans une caisse de transport étanche, elle-même transportée grâce à une claie de portage. L’ensemble pèse environ 18 kg auxquels s’ajoutent les 10 kg de la bouteille d’oxygène et c’est sans compter les dizaines de kg de matériel supplémentaire qui doivent être acheminés en forêt également.
Une expérience unique en Afrique Centrale et un rôle pionnier en médecine de la conservation
Pratiquer des anesthésies gazeuses sur une espèce menacée comme le pangolin géant est unique en Afrique Centrale ce qui rend ces missions encore plus captivantes et importantes. Les informations relatives aux anesthésies de pangolins géants comme celle relatives à son écologie sont inexistantes ce qui confère à l’équipe de la Lopé un rôle pionnier en conservation et en médecine de la conservation. De plus est, des méthodes standardisées qui peuvent être reproduites dans d’autres aires protégées et parc nationaux de la sous-région ont été développées au cours des différentes missions.
Des recherches indispensables à la compréhension des zoonoses
Ces missions, financées par le programme ECOFAC 6 de l’Union Européenne, seront à l’origine d’un socle de connaissances indispensables pour mieux protéger cette espèce en voie d’extinction et comprendre aussi les mécanismes de transmission des zoonoses.
L’accumulation de connaissances scientifiques est importante mais la transposition de ces connaissances à des fins de protection des pangolins géants l’est plus encore. Les données GPS permettent de comprendre l’utilisation de l’espace par les pangolins géants en fonction du sexe, des saisons et des ressources alimentaires ce qui permet de savoir quels habitats doivent impérativement être protégés afin que cette espèce perdure.
Ces échantillons sont aussi essentiels pour mener à bien des recherches sur de potentielles maladies émergentes issues de la faune sauvage. L’actualité nous rappelle avec force le lien entre l’humain et l’environnement. Plus de 3.5 millions personnes sont mortes de COVID19 dans le monde entier, mais le chiffre réel pourrait être même largement supérieur. La restauration de la nature, sa préservation, est donc une condition indispensable pour la survie de notre Terre et de notre espèce humaine tout court.
ECOFAC6, un engagement de 30 ans pour la conservation
Le Programme régional ECOFAC, co-financé par l’Union européenne à hauteur de 80 millions d’euros, initiative unique au monde, est un allié de longue durée de la recherche scientifique tropicale, fêtant bientôt ses 3 décennies d’activité.
Le soutien de cette mission pionnière conduite récemment à la Lopé est un exemple concret de cet engagement européen dans la région. L’UE accompagne, depuis la création du Parc même, la Station de recherche tropicale de la Lopé, une référence en la matière, gérée par l’Agence Nationale des Parcs Nationaux du gouvernement gabonais.
Également, ECOFAC6 soutient la recherche scientifique dans d’autres Aires Protégées de la région, ayant appuyé des centaines de travaux de recherche dans le domaine de la conservation. Environ 50 universités du monde sont par ailleurs impliquées, directement ou indirectement, dans les activités scientifiques soutenues par le Programme dans toute Afrique Centrale.
Crédit photos : D. Lehmann/ANPN